La vie affective avec le syndrome de Prader-Willi (SPW)
" La vie intime sera toujours compliquée "
Sheila Warembourg
Maman d’une jeune femme de 42 ans |
Nos enfants ressentent comme tout un chacun une vie affective et un attrait sexuel qu’ils expriment dès leur plus jeune âge par leur besoin d’être aimé, reconnu, apprécié.
Mais comme pour tout le reste, l’expression est différente, caricaturale et mal équilibrée : trop ou trop peu.
Leurs condition de vie et d’expression ne sont pas normales : lieux de rencontres, moyens de rencontres, frustrations multiples, intimité, ce qui rend plus difficile encore notre appréciation de la réalité de leurs sentiments. Par exemple, ma fille est séparée par 600km de l’élu de son cœur cela ne peut pas ne pas avoir de conséquence
Habitués à occuper une place importante et anormale dans la famille depuis toujours, leur évolution psychoaffective en est marquée. Si ils sont le centre du monde, des attentions et qu’on les privilégie pour compenser leurs difficultés, cela devient pour eux la norme et cela n’est pas sans conséquence.
Nous pouvons croire qu’ils sont centrés sur eux, très égocentristes, mais peut être que dans leur condition nous serions pareils. J’ai remarqué que ma fille est capable de très bien comprendre sa tante, son frère, sa prof. d’équitation et par exemple de leur faire un cadeau très adapté. Ce qui témoigne d’une sortie d’elle-même.
Je sais que, maintenant, dans son ESAT, en vacances dans les lieux extra-familiaux son comportement avec les autres est différent de celui qu’elle a à la maison.
A ce propos il me semble très important de favoriser la multiplicité des rencontres dès tout petits. La grand-mère, la nounou, la crèche, seront autant de pièces «de puzzle», d’expériences différentes qui enrichiront leur cadre, leur approche, leur compréhension,
Il me semble que tant bien que mal, le monde dans lequel ils évoluent famille, éducateurs, accompagnateurs, collègues les fait évoluer et mûrir. Il peut se construire un équilibre. Mais comme pour tout être humain l’équilibre peut être rompu, chez les personnes ayant un SPW beaucoup plus facilement d’autant plus si leur équilibre est monobloc, ne vient par exemple que de la famille. Comme si, de ne pas avoir à se «coltiner» avec toutes sortes de choses, les fragilisent, ne leur permettait pas de développer toutes leurs capacités.
Maman d’Aurélie, 23 ans |
Comment accepter un corps qui change et des règles qui ne viennent pas à l’adolescence ?
Au cours d’une rencontre avec l’endocrinologue, Aurélie apprend qu’elle a un hypogonadisme (mauvais fonctionnement des ovaires). Pour elle cela signifie, je ne peux pas avoir d’enfants, mais un petit ami, c’est possible. Pourtant il n’est toujours pas facile pour Aurélie d’accepter sa différence. À 15 ans, elle disait : «je suis grosse, j’ai un gros ventre, les seins qui tombent. Mes sœurs sont jolies, pas moi». Alors ses sœurs la mettent en valeur, l’aident dans sa toilette, lui lavent et sèchent ses cheveux. Pour qu’elle se sente bien, elles lui massent les jambes et les bras avec une crème qui sent bon. L’une des sœurs la maquille discrètement. Aurélie se regarde dans le miroir avec un grand sourire. C’est une nouvelle image en face d’elle ; apprendre à s’aimer c’est aussi apprendre à plaire.
Je me souviens d’un moment difficile avec ma fille quand elle m’a dit: «Toi maman tu ne veux pas que je sois une fille. J’ai pas de jupe dans ma garde-robe». C’est vrai que j’ai alors fait des efforts pour trouver des robes à sa convenance, tout en gardant sa silhouette harmonieuse. Pas facile quand on est ronde et petite. J’avais tendance à cacher ses fortes jambes sous un pantalon.
Les premières rencontres amoureuses ont lieu à Hendaye, mais ne durent pas. Lors d’une rencontre régionale, elle sympathise avec un garçon qui a aussi le SPW. Il a 10 ans de plus qu’elle. Il l’appelle régulièrement au téléphone, lui déclare son amour. Un idéal est imaginé, «Nous aurons une maison avec un chat. Nous vivrons ensemble. Nous allons nous marier». Que répondre en tant que parent ?
Aurélie intègre un foyer de vie à 600 kilomètres de sa famille. Elle quitte papa et maman, comme ses sœurs. Elle a 23 ans et fait la rencontre d’un garçon au foyer de vie. L’éducatrice m’a expliqué comment leur histoire s’est déroulée. Il y a d’abord des temps d’échange avec les 2 jeunes avant qu’ils n’arrivent d’eux-mêmes à la relation sexuelle. C’est eux qui en ont exprimé le désir. Par exemple, Aurélie disait : «je veux devenir une femme et être comme toutes les autres jeunes filles», « Avec ce garçon-là je me sens bien et il est gentil».
L’éducatrice aide, accompagne le couple dans sa démarche affective. Elle peut aussi aider le garçon à mettre le préservatif. Si Aurélie au dernier moment ne veut plus faire l’amour, elle a le droit de dire non au garçon, et la réciproque est vraie.
Dans ce foyer, l’accompagnement de la personne handicapée dans sa vie affective et sexuelle est présent. Ce n’est pas le premier couple qui se forme. Même s’il y a rupture, si l’histoire amoureuse ne dure pas, on en parle. L’échange est essentiel. Cela me rappelle une émission à la télévision où une jeune fille handicapée disait : «mon corps est en prison» car le garçon qu’elle aimait n’avait pas le droit d’aller dans sa chambre et toute relation affective était impossible.
Aurélie a eu la chance de bénéficier des compétences de Sheila Warembourg dans son IMpro avant d’arriver dans le foyer de vie. L’éducatrice m’a dit qu’elle savait beaucoup de choses.
À travers ces groupes de parole entre filles ou garçons en situation de handicap, chacun peut s’exprimer librement, à sa façon et en fonction de ses capacités sur ses sentiments, ses désirs ses rêves, ses difficultés mais aussi sur ses limites.
Comment prendre soin de soi, attacher de l’importance à son apparence physique, par exemple les vêtements que je porte, le choix des couleurs, le maquillage pour les filles. Comment s’adresser à l’autre et comment se faire respecter dans l’intégrité de son corps ? Apprendre à connaître son corps et celui de l’autre. Comment j’imagine ma vie affective ?
Ces temps de paroles sont un atout pour s’accepter dans la différence, et toute personne a besoin de tendresse sans forcément conclure par l’acte sexuel. On a besoin de compter pour l’autre. Quand on accepte son image, il est plus facile d’aller vers l’autre.
Le fait d’être dans un foyer de vie entre jeunes du même âge permet d’une certaine façon, de vivre l’expérience d’une vie de couple. Chacun garde sa chambre, sa propre intimité est respectée. Tout se fait avec les propositions et le consentement des 2 personnes. C’est le plaisir de se retrouver après les activités de la journée, de partager le repas ensemble même si les autres résidents sont là. C’est quelque chose que l’on ne peut pas proposer à la maison. C’est se sentir comme son frère ou sa sœur, une fois adulte, avoir son chez soi et son(sa) petit(e) ami(e). C’est se faire une place dans la société, appartenir au même monde que les autres.
Une psychologue |
Une jeune fille, qu’on appellera A, âgée de 20 ans vient pour la deuxième fois en séjour à l’Hôpital marin de Hendaye. Elle fait des stages en ESAT, elle a un petit ami qui vient dormir chez elle et elle va aussi dormir chez lui.
A son arrivée, lors du bilan d’entrée, sa mère demande l’aide de l’équipe d’Hendaye pour convaincre sa fille de retourner chez la gynécologue car sa fille a arrêté la pilule depuis 7 mois, n’a plus de règles et ne veut plus entendre parler de la pilule.
Je reçois A en entretien et lui demande de me parler de son «amoureux». Je lui pose des questions précises sur le stade de leurs relations. Alors que tous les professionnels présents à son entrée avaient imaginé qu’elle avait déjà des relations sexuelles, elle m’explique qu’avec N, ils prennent leur temps et apprennent à se découvrir. Ils ont déjà parlé de contraception ensemble et aussi du «préservatif». A parait avoir certaines connaissances sur ces thèmes (intervention des infirmières quand elle était en IME). A parle aussi des raisons qui l’amènent à refuser actuellement la pilule. Il s’avère qu’elle a dans ce domaine moins de connaissance sur les effets de la pilule et sur les autres moyens de contraception.
A ce stade de l’accompagnement, la première possibilité que j’entrevoyais était de collaborer avec un médecin pour amener A à adhérer à la nécessité d’avoir une contraception. On aurait pu, alors, organiser une visite chez la gynécologue pendant le séjour (dans ce cas, pas d’assurance de suivi après le départ), ou simplement recommander à A et à sa mère de prendre un RDV avec une gynécologue dès le retour. Or, ce qui est en jeu pour A est la relation de confiance avec la gynécologue : s’autorisera-t-elle ou non à poser des questions ? Et celle-ci s’adaptera-t-elle à A, à sa façon de comprendre ? Autant d’éléments subjectifs de la rencontre qui rendaient très aléatoires les effets attendus de cette consultation gynécologique.
Il me semblait important d’adresser A à un professionnel, spécialisé dans les domaines de la sexualité, contraception, de la femme, qui pourrait aussi accompagner A au fil de son « devenir femme ». Il fallait aussi permettre à A de trouver un lieu et des personnes auprès desquelles déposer ses questions en confiance et trouver des réponses concrètes, compréhensibles.
C’est tout naturellement donc que l’idée du recours au Planning Familial est née. Les Planning Familiaux existent dans toutes les régions, sont ouverts gratuitement à tout public, de la puberté à la ménopause. Ils proposent d’intervenir dans différents champs tels que la gestion de conflit au sein de la famille, la parentalité, la prévention, la sexualité, la contraception, les MST, la maternité. Plusieurs types de consultations sont possibles : infirmière, gynécologue, conseillère conjugale, sage- femme.
Après avoir contacté le planning familial de notre département en lui précisant nos attentes, nous avons organisé une rencontre avec A, accompagnée par son éducatrice référente et moi-même. La rencontre s’est faite en notre présence afin de faciliter l’expression de A et de favoriser un climat de confiance. Un autre espace de parole lui a été proposé en dehors de notre présence mais A ne s’en est pas saisie.
En tant que psychologue, le fait d’avoir participé à la rencontre m’a permis, par la suite, de m’assurer de la compréhension des messages délivrés et de réajuster quand nécessaire, mais aussi de faire exprimer A sur son vécu.
Nous sommes aussi allées ensemble sur le site internet onsexprime. fr ,site adapté aux adolescents et jeunes adultes, réalisé par l’INPES (Institut National de Prévention et d’Education à la Santé). Anatomie, puberté, première fois, contraception, santé sexuelle et prévention des IST mais également vie affective, relations amoureuses, orientation sexuelle, plaisir, sexe et égalité, violences...
Le site « OnSexprime » délivre des informations et des conseils. A est donc repartie de ce séjour avec :
Pour moi, le recours à ce lieu spécialisé avec des personnes extérieures à l’hospitalisation et non spécialisées dans le SPW, m’a permis d’aborder ces thèmes de la vie féminine intime plus directement, avec plus d’ouverture et de liberté d’expression. Cette expérience a aussi rendu explicite le chemin qu’il nous reste à faire, aux uns et aux autres, dans notre unité, pour faire une place à cette dimension de la vie des jeunes adultes.
Autrement dit, une façon de préparer le terrain et les esprits des professionnels à de nouvelles façons d’accompagner la vie affective, intime et sexuelle des personnes avec le syndrome de Prader-Willi hospitalisées dans notre service.
Enfin, cette expérience pourra être reconduite en fonction de son utilité pour la personne à accompagner. Il ne s’agit pas de systématiser ce type de rencontre mais toujours d’individualiser chaque suivi.
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